Musique

CINÉ-CONCERT

  • « The Seashell and The Clergyman » (film de Germaine Dulac, 1928 // rock indé – post-rock)

Ce ciné-concert réunit le musicien Guillaume Goubier et le scénariste mélomane Jean-Loïc Tournié autour du film réalisé par Germaine Dulac en 1928. Un moyen-métrage en noir et blanc de 40 minutes dans sa version restaurée, qui raconte les fantasmagories d’un homme d’Église hanté par des visions blasphématoires. La richesse du film se prête ici à merveille à une “colorisation” musicale inédite, entre guitares saturées, ambiance oppressante et silences impétueux.

Avec le soutien de La Soufflerie et de la Fabrique – Villes de Nantes. Sortie de création présentée à Trempo le 9 décembre 2021.

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The Seashell and the Clergyman est un moyen-métrage en noir et blanc de 40 minutes dans sa version restaurée (utilisée ici), qui raconte les fantasmagories d’un homme d’Église hanté par des visions blasphématoires. D’un genre obscur, il tient autant du thriller horrifique que de la romance ou du fantastique déluré. À bien des égards, il est compliqué de le catégoriser suivant les notions retenues actuellement par le CNC.
Considéré aujourd’hui par bon nombre de spécialistes comme le premier film surréaliste au monde (un an avant « L’Homme à la Caméra » de Dziga Vertov), il fut à l’époque renié – notamment par son scénariste Antonin Artaud -, illustrant cette tragique incapacité de ceux considérés comme précurseurs de ce mouvement à mesurer la portée historique de cette œuvre.
Pourtant, la richesse intrinsèque de ce film transgressif, dans ses techniques comme dans ses propos, atteste de la vivacité d’esprit d’une auteure en pleine possession de son art. On y navigue de porte en porte. Les poings tremblent ou frappent, les visages se fendent en deux, des flasques s’écrasent au sol sur une pile d’éclats de verre, un immense bateau se noie dans une toute petite bouteille. Tout un monde qui flotte entre des mains rageuses, comme l’expression désordonnée mais ô combien sincère des frustrations et des fantaisies sexuelles de ce jeune prêtre, dans un tourbillon de mouvements spectaculaires.
Des angles insolites aux ruptures de tons clairement assumées, des reflets saisissants aux découpages, collages et autres mouvements de surface, c’est toute une gamme de possibilités visuelles qui rythment ce film. Un cinéma intégral porté par une mise en scène implacable. Un point de rupture volontaire et essentiel avec la narration pourtant emplie de thèmes riches au sens souvent abstrait. Cette œuvre, qui a marqué presque silencieusement l’Histoire du cinéma, ne dévoile pas facilement ses secrets, alors qu’elle ne demanderait qu’à être disséquée, ce que nous proposons de faire.

NOTE D’INTENTION

Pour chacun de nous, la musique a toujours été indissociable de l’image, ou plutôt, il n’est de musique sans images. Les divers projets musicaux sur lesquels nous avons déjà travaillé séparément peuvent ainsi très souvent se définir par des références à des univers visuels et cinématographiques. C’est précisément la polyphonie visuelle de l’œuvre qui nous a inspiré l’envie de travailler sur The Seashell and the Clergyman.
De par sa richesse interprétative, le film se prête à merveille à une colorisation musicale inédite. L’éclatement narratif, les effets de ruptures et de répétition, l’onirisme clair – obscur porté par cette symphonie d’images nourrissent aisément une confusion volontaire des sens, et sont autant de qualités propres aux influences que nous revendiquons — Godspeed You! Black Emperor, Mogwai, NoMeansNo, June of 44, Sqürl (et donc) Jarmusch, Lynch, Borges, Barthelme…
Il n’est pas pour autant ici question de rendre spécifiquement hommage au surréalisme, en tout cas pas dans une approche musicale qui se traduirait par un fourre-tout conceptuel. Il s’agira avant tout de compositions écrites et structurées, une forme de rigueur indispensable face au défi technique que représente un ciné-concert, et d’où se dégagera une réelle harmonie des sons malgré la déstructuration du récit dans l’enchaînement de certains plans.
Au-delà de la notion de musicalité, il nous semble important de questionner, par la (re)mise en lumière de ce film, la vague d’incompréhension suscitée à sa sortie. Peut-elle s’expliquer seulement par la liberté artistique et le ton transgressif de son auteure et sa capacité instinctive à se défaire des carcans de son temps ? Ou ne peut-on également y voir l’hermétisme d’une intelligentsia très fortement masculine à l’audace et à l’originalité d’une réalisatrice par trop vite oubliée ?
Enfin, dans une dimension commune à Germaine Dulac et Antonin Artaud, le rempart souvent dénaturé et ici abordé frontalement du droit au blasphème subit encore aujourd’hui de vastes remous, tant sa remise en question est plus que jamais d’actualité.
Des questions certes importantes mais qui ne sont, somme toute, que des raisons supplémentaires, s’il en fallait, de consacrer un ciné-concert à cette œuvre hors-norme.